Culture
Portrait de femme qui a marqué Paris : La Comtesse de Castiglione
On connait peu l’histoire fascinante de la Comtesse de Castiglione, femme qui marqua l’esprit du Paris du 19e siècle. Vivre Paris vous la raconte.
Nous sommes le 22 mars 1837 à Florence, en Italie. Virginia Oldoïni Verasis est la fille unique du marquis Filippo Oldoïni Rapallini (premier député de La Spezia au Parlement du royaume de Sardaigne) et Isabella Lamporecchi (la cousine de Filippo). Fillette de la noblesse piémontaise, Virginia reçoit une éducation poussée, alternant entre cours d’anglais, de français, de danse et de musique.
Celle qu’on appelle très vite, du fait de sa beauté, « La Perla d’Italia » (La Perle d’Italie) épouse à l’âge de 17 ans le comte Francesco Verasis de Castiglione. En mars 1855, elle lui donne un fils : Giorgio.
En 1856, Virginia a 18 ans et son mariage (dans lequel elle s’ennuie) bat de l’aile. Envoyée à la capitale par son cousin Camillo Cavour dans le but de conquérir Napoléon III, alors âgé de 47 ans, Virginia arrive à Paris avec son mari le 25 décembre. Ils s’installent au numéro 10 de la rue Castiglione, une voie du quartier de la Place-Vendôme (75001) baptisée en l’honore de la victoire remportée par le général Bonaparte sur les Autrichiens, le 5 août 1796.
L’intérêt d’une telle liaison ? Virginia pourrait influencer les décisions politiques de l’unique président de la Deuxième République, afin d’obtenir le soutien de l’empereur des Français à la cause italienne face à la menace autrichienne.
Grâce à ses atouts physiques, mais aussi son caractère – Virginia est une jeune femme sûre d’elle et très fière – elle parvient à séduire Napoléon III. Le 9 janvier 1856, la Comtesse est présentée à l’Empereur lors d’un bal. Un mois plus tard, ils entament une liaison pas vraiment secrète. Lors d’une fête champêtre et estivale dans le parc de Saint-Cloud, au château de Villeneuve-l’Étang (Marnes-la-Coquette), les deux s’isolent pendant plusieurs heures, sous les yeux de l’impératrice, humiliée.
On raconte que l’influence de Virginia sur l’empereur se serait concrétisée le 21 juillet 1858 avec le traité de Plombières. De plus, durant la guerre franco-prussienne de 1870, Napoléon III, malade et vaincu, lui aurait demandé de jouer une dernière fois de ses charmes à des fins diplomatiques. La comtesse aurait ainsi plaidé la cause de la France auprès du chancelier de Prusse Bismarck, afin d’éviter à Paris l’occupation.
Bien sûr, dès ses débuts la relation fait scandale. Le comte de Castiglione se sépare de Virginia et, ruiné par le train de vie luxueux de son épouse, il repart seul en Italie où il doit vendre toutes ses possessions pour rembourser ses dettes.
Dès lors, courtisée, adulée, jalousée, la Comtesse de Castiglione défraye les chroniques mondaines du Second Empire. Sa relation avec l’empereur est au coeur de toutes les conversations et lui ouvre les portes de la haute société, dans laquelle elle se pavane en se vantant des cadeaux de son amant célèbre. Dans les bals et dîners mondains où elle est invitée, la jeune femme qu’on décrit comme vaniteuse, fuyante avec les femmes et très égocentrique, arrive toujours en retard, dans des accoutrements surprenants. Son imagination n’a pas de limite ; elle crée ses tenues dans l’unique but de choquer.
Son costume le plus célèbre est celui de « la Dame de cœur », qu’elle porta pour un bal au ministère des Affaires étrangères en février 1857. Il s’agissait d’une robe faite dans un tissu très fin, marquant ses formes et ornée d’un coeur au niveau de son sexe. L’Impératrice Eugénie aurait ironisé sur ce cœur situé « bien bas ».
Immortalisée dans cette tenue par Aquilin Schad, le cliché colorisé à la gouache dans l’atelier Mayer et Pierson sera présenté à l’Exposition universelle de 1867, à Paris.
Le 6 avril 1857, en pleine nuit, alors que Napoléon III quitte le domicile de Virginia, il est victime d’une tentative d’attentat avenue Montaigne (75008). On accuse l’Italienne d’être complice et elle est bannie de la cour impériale. Elle reviendra à Paris en 1861, mais ça n’est qu’en 1863 qu’elle fait son grand retour à la Cour, au bal costumé des Tuileries, déguisée en reine d’Étrurie.
Mais ce n’est pas que pour sa relation adultère et ses frasques de jeune fille capricieuse que Virginia de Castiglione mérite d’être connue. En effet, la comtesse a été pionnière dans le domaine de photographie. Sa beauté, elle en a fait une obsession, poussant son narcissisme jusqu’à devenir la femme de son époque à s’être fait tirer le plus de portraits.
On estime sa collection à environ 400 clichés, un nombre incroyable pour l’époque, où la photographie n’est qu’un moyen de se présenter à la société. Mayer et Pierson, photographes très appréciés de la noblesse parisienne du 19e siècle sont notamment à l’origine de bien de ces portraits que Virginia garde pour son plaisir personnel.
Pendant quarante ans, la comtesse de Castiglione s’est ainsi faite photographier sous toutes les coutures ; brisant rapidement les codes du portrait de l’époque dans une démarche originale, d’une modernité étonnante. Elle pose, parfois les jambes dénudés, dans des mises en scène qui restent encore aujourd’hui mystérieuses .
Surtout, les clichés semblent raconter une histoire, un mythe que Virginia crée de toute pièce, usant notamment des retouches (et de la colorisation à la gouache) à des fins purement artistiques et fantasques, chose jamais vue au 19e siècle. Une vraie démarche artistique.
La beauté n’étant pas éternelle, le temps qui passe et altère son image fait tomber Virginia dans la dépression. Elle se terre dans son appartement du 26 place Vendôme (75001) puis déménage en 1893 au 14 rue Cambon (75001). On dit que, parce qu’elle n’était plus satisfaite de son physique, elle fit retirer de chez elle tous les miroirs et recouvrit ses murs de photos qui lui rappelaient sa splendeur juvénile.
En 1893, Virginia revient derrière l’objectif (qu’elle a boudé pendant vingt ans). Les mises en scène sont toujours aussi fantasques, les poses et vêtements sont les même, mais quelque chose à changer dans le regard de la Comtesse. Souvent vêtue de noir, l’air ailleurs, désolé, ces clichés sont pleins de désespoir et font parfois référence à la mort.
A cette époque là, espérant renouer avec son succès d’autrefois, elle tente d’organiser une exposition de ses portraits. Celle-ci ne verra jamais le jour ; elle aurait dû s’intituler pompeusement « La plus belle femme du siècle ».
La comtesse de Castiglione meurt le 28 novembre 1899 à l’âge de 62 ans. Enterrée au cimetière du Père-Lachaise (division 85), elle avait demandé à être mise en terre vêtue de la chemise de nuit qu’elle portait lors de sa première nuit d’amour avec l’Empereur, à Compiègne, et accompagnée de ses chiens empaillés, mais ses derniers souhaits ne seront pas exaucés. Pire, l’enterrement se fera anonymement. D’ailleurs, sa tombe restera à l’abandon jusqu’en 1999.
Tous ses souvenirs, photographies, vêtements seront venus aux enchères à d’anciens admirateurs, parmi lesquels le comte Robert de Montesquiou, qui lui vouait un véritable culte. Aujourd’hui, c’est le Metropolitan Museum de New York qui possède la plus importante collection de photos de la Comtesse.
C.B