Culture
Portrait de femme qui a marqué Paris : Coco Chanel
Cette semaine, nous vous dévoilons la vie mystérieuse d’une femme qui, par sa détermination à régir sa propre existence, a marqué Paris et transformé à jamais la mode féminine.
Nous sommes le 19 août 1883, aux hospices de Saumur. Gabrielle Chanel est née. Elle est la deuxième des six enfants d’Albert Chanel, camelot et de Mlle Jeanne Devolle, couturière.
La petite Gabrielle perd sa mère à l’âge de 12 ans. Un décès qu’elle vit comme un arrachement, une souffrance immense qui, selon elle, expliquera ensuite sa résilience face aux coups du sort. A cela s’ajoute l’abandon de son père, la même année 1895. Gabrielle devient « mademoiselle Chanel », orpheline.
La légende raconte que l’adolescente se retrouve avec ses soeurs Julia et Antoinette, chez les religieuses du monastère d’Obazine, un orphelinat à quelques kilomètres de Brive en Corrèze. Elle y passera plusieurs années, menant une vie austère qui marquera plus tard ses goûts de styliste.
(Une autre version, plus plausible, raconte qu’elle aurait été confiée à une tante bretonne en tant que domestique.)
A ses 18 ans, Gabrielle déménage à Moulins (Auvergne-Rhône-Alpes) et s’inscrit chez les dames chanoinesses de l’institut Notre Dame. N’ayant pas les moyens de payer les frais de scolarité, elle y est admise avec le statut de pupille et y est traitée différemment des élèves plus riches. Elle y apprend tout de même le métier de couseuse avec sa tante Adrienne, 18 ans également et la même rage de vaincre et de s’évader de cette vie de misère.
Ensemble, vers 1907, elles atterrissent dans une maison spécialisée en trousseaux et layette, la Maison Grampayre. Gabrielle fait alors forte impression sur les officiers du village. On la découvre à 24 ans sur la scène de la Rotonde, un café de Moulins, chantant en boucle « Qui qu’a vu Coco dans l’Trocadéro ? » (chason de Félix Baumaine, Charles Blondelet et Édouard Deransart).
Coco Chanel est née.
Avec son physique frêle, ses cheveux noirs et ses yeux sombres, elle devient la favorite des officiers en un rien de temps ! C’est l’ivresse du succès naissant… Mais la vie de château, ça n’est pas sa voix ni ses courbes qui la lui offrent. C’est un certain Etienne Balsan, son premier amant (et ami pour toujours). L’ancien officier devenu éleveur de chevaux de course l’accueille chez lui, au Domaine de Royallieu près de Compiègne.
Mais la jeune femme s’ennuie. Elle a beau apprendre les codes de la haute société et fréquenter du beau monde, elle manque de cette liberté qu’elle adore et surtout, l’idylle avec Etienne ne dure pas. Alors quand elle ne participe pas au spectacle des courses de chevaux, habillée de tenues qu’elle se coud elle même : des robes droite et des chapeaux qu’elle porte très bas sur le front, Gabrielle se réfugie aux écuries vêtue d’un pantalon d’équitation (qu’on appelle jodhpurs) en peau et d’une cravate.
Déjà, refusant les robes d’amazone et les froufrous, le style de la jeune femme choc.
Si Gabrielle est venue à Paris, en 1909 c’est parce qu’elle a suivi un homme ; un certain Arthur Edward Capel que tout le monde appelle « Boy », le meilleur ami d’Etienne Balsan.
C’est justement dans la garçonnière de ce dernier, boulevard Malesherbes (75008 / 75017), que le jeune couple va vivre une passion « secrète ». « Boy » est un riche homme d’affaire anglais qui finira par épouser la fille veuve d’un baron britannique. Malgré cela, pendant neuf ans, Boy et Coco vont s’aimer éperdument.
Surtout, l’anglais croit beaucoup en Coco, jusqu’à financer l’ouverture de son premier salon de modiste, « Chanel Modes », rue Cambon (75001) où elle vend ses chapeaux, qu’on achète pour leur simplicité inédite. La modiste profite de cet emplacement pour aller régulièrement chez Angelina, boire un café.
Sa réputation naît réellement à Deauville, à l’été 1913, grâce encore une fois à « Boy ».
Ce dernier loue une boutique pendant deux étés consécutifs, entre le casino et l’hôtel Normandy. La boutique « Gabrielle Chanel » connaît un succès certain. Deux ans plus tard, à Biarritz, elle ouvre sa troisième boutique et première vraie maison de couture.
Son ambition ? Libérer le corps des femmes, alors engoncés dans des corsets et robes longues.
Pendant la guerre, le tissu manque alors Coco crée des robes de sport, plus courtes que les robes traditionnelles, à partir des tricots en jersey des garçons d’écurie, qu’elle-même porte depuis longtemps. C’est un énorme succès.
En 1918, elle est à la tête d’un petit empire, emploie plus de 300 ouvrières et peut enfin rendre à Boy l’argent qu’il lui avait donné. Etre une femme entretenue, pour Coco, c’est inenvisageable.
Tout sourit à mademoiselle Chanel, jusqu’à cette veille de Noël 1919, sur une route du Midi, où « Boy » perd le contrôle de son bolide et meurt. Pour oublier son chagrin, la styliste se noie dans le travail. « Je perdais tout en perdant Capel », déclarer-t-elle des décennies plus tard.
Après l’accident, Coco vit un temps à Garches puis déménage dans l’immense Hôtel de Rohan-Montbazon, au 29 rue du Faubourg-Saint-Honoré (75008). A cette époque son amie polonaise Misia Sert, muse de Bonnard et de Vuillard, égérie de Diaghilev et de Stravinsky (que Coco hébergea à Garches quand il immigra de Russie), lui ouvre les portes de la mondanité.
De 1920 à 1939, Coco Chanel règne sur Paris et annexe les numéros 27 et 29 et 31 de la rue Cambon. En 1921 elle devient la première créatrice à lancer son iconique parfum, le N°5, créé par le parfumeur de la cour de Russie, Ernest Beaux.
Le flacon du célèbre N°5 de Chanel, a été dessiné par son amant de l’époque, le grand-duc Dimitri Pavlovitch, sur le modèle des flasques à vodka de la garde impériale russe.
En 1926, Chanel dessine une robe fourreau droite, sans col et à manches 3/4. Le modèle est noire, en crêpe de Chine et rencontre un succès monstre. Encore aujourd’hui la petite robe noire est un indémodable.
Pendant l’entre-deux-guerres la créatrice dessine des vêtements pour Cocteau, est amie avec Marcel Proust, Toulouse-Lautrec et Auguste Renoir… Elle qui adore les bijoux devient la première femme à lancer une ligne de Haute Joaillerie, en 1932.
Au début de la Seconde Guerre Mondiale, elle licencie tout son personnel et ferme la rue Cambon. Un vent de mystère souffle sur la prétendue « vie de collabo » de Chanel. La rumeur raconte que pour sauver son neveu, André Palasse (qu’elle avait élevé comme un fils dès 1910), de la Wehrmacht, elle demande de l’aide à son amant de l’époque, Hans Gunther von Dincklage, attaché à l’ambassade d’Allemagne à Paris et espion pour le compte de l’Abwehr. Ce dernier, en 1941, la met en contact avec un autre agent de l’Abwehr, le Français Louis de Vaufreland.
On dit que Coco Chanel serait devenue un agent de la section 3F (contre son grès ou non, là est le mystère) en raison de ses liens avec des personnalités très influentes, dont Winston Churchill. En août 1941, des documents déclassifiés attesteraient un voyage de Coco Chanel à Madrid, accompagné de l’espion Vaufreland qu’elle présente comme un de ses « amis intimes » à l’adjoint de l’ambassadeur britannique, Brian Walace.
Son neveu sera libéré en novembre de la même année. En 1949 Louis de Vaufreland sera condamné à six ans de prison pour intelligence avec l’ennemi.
A la Libération, Coco Chanel est arrêtée, mais relâchée quelques heures plus tard, grâce, raconte-t-on, au soutient de Winston Churchill… Humiliée, la couturière quittera la capitale pour Lausanne, en Suisse, et ne reviendra qu’en 1954.
De retour à Paris, elle s’installe définitivement dans sa chambre du Ritz, (qu’elle loue depuis 1937) devenue aujourd’hui « La suite Coco Chanel » (à partir de 18 000 € / nuit tout de même).
Elle tente de reconstruire son empire, malgré la concurrence (notamment le jeune Christian Dior) et les critiques de la Presse. La styliste crée alors de nouveaux modèles, désormais classiques : le tailleur en tweed ou les ballerines bicolores. Le « style Chanel » est plus qu’une mode, c’est un phénomène.
La créatrice finit sa vie confinée entre ses appartements et le siège de sa maison de couture rue Cambon. Elle est dépeinte en despote solitaire, « Furieuse et droite comme un capitaine sur le pont d’un vaisseau qui sombre », écrira d’elle Françoise Giroud dans L’Express.
Coco Chanel meurt au Ritz, le 10 janvier 1971, à l’âge de 87 ans. Elle est enterrée au cimetière du Bois-de-Vaux, à Lausanne, dans une tombe qu’elle a elle-même dessinée. Au dessus de son nom, cinq lions sont sculptés.
C.B